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Woland
La phase de transition de la crise: l’ère des émeutes
Ce texte très intéressant des camarades de Blaumachen essaye d’embrasser le moment actuel (sic !), du mouvement d’octobre contre l’allongement de l’âge de la retraite en France aux « indignés » d’ici ou là en passant, bien entendu, par les révoltes d’Afrique et du Moyen Orient..
Pour eux, le rapport prolétariat/capital est entré dans la deuxième phase de la restructuration qui a suivi l’entrée en crise du système fordiste et la fin du programmatisme, dans les années 70. Cette deuxième phase est actuellement en crise…..
L’exacerbation irrépressible du capital financier en danger permanent de dévaluation (d’actualité brulante !!), la dépréciation de la force de travail et l’exclusion des prolétaires «surnuméraires», que ce soit la jeunesse, théoriquement «entrante» dans le circuit de la production ou les classes moyennes prolétarisées font le contexte explosif des événements qui secouent le monde au cours de ces derniers mois………et de ces dernières heures!!
Le rapport capitaliste ne peut pas surmonter sa crise de reproduction. Cette crise, aujourd’hui, n’est plus seulement d’ordre financier. Elle prend de plus en plus la forme d’une crise sociale généralisée. La seule chance, pour le capital, de surmonter la crise serait que le processus destructeur qu’elle a initié puisse aller à son terme. Un nouveau cycle d’accumulation ne pourrait démarrer que par une dépréciation ou par une destruction immédiate et suffisamment importante de capital productif (plus importante encore, grâce à la dépréciation / renouvellement du capital fixe), suivie d’une restructuration du mode de production.
Une dévaluation suffisante du capital a aujourd’hui comme condition préalable la dévaluation massive du quasi-capital financier (QCF: c’est à dire le capital potentiel stocké dans le système financier et sous la menace constante d’une dévaluation massive lors de la crise actuelle). Cette étape est nécessaire en raison de la structure actuelle du capital social et de l’importance particulière de sa forme financière pour la reproduction du capital. L’importance du capital financier a marqué la période historique actuelle du capitalisme restructuré. La restructuration qui a suivi la crise des années 1970 a abouti à la financiarisation du capitalisme comme un tout, il n’a pas renforcé le seul système financier comme composante du capital. Le rôle du capital financier dans le processus de collecte et de répartition des profits, dans la période entre 1982 et le déclenchement de la crise en 2008, a été décisif dans l’évolution du taux de profit.
Le capital financier a été l’ «architecte» du mécanisme de la péréquation du taux de profit dans le processus de mondialisation. Dans la phase d’expansion du cycle, la mondialisation financière a encouragé l’investissement en augmentant la population disponible pour l’exploitation et renforcé la concurrence entre les forces de travail dans le monde (la compétition pour le prix le plus bas a conduit à la spirale descendante de la valeur de la force de travail au niveau mondial). Dans le même temps, la mobilité des capitaux et le succès du capital financier dans l’organisation de l’augmentation de la rentabilité ont été si efficaces qu’ils ont conduit à l’inversion de la relation entre l’intérêt et le profit des entreprises. L’augmentation progressive du QCF au cours de cette phase du cycle était absolument nécessaire pour l’expansion de la production et, simultanément, l’expansion de la production a entraîné la montée du QCF comme sa conséquence. Cet accroissement du QFC a déterminé le taux d’accumulation faible (par rapport au cycle précédent) qui a caractérisé toute la période. Le taux d’accumulation faible est lié au fait qu’une partie des bénéfices devait être «recyclée» dans le système financier, afin que ce dernier puisse continuer à surveiller et «manager» la hausse de la rentabilité. Ainsi, la croissance du taux de profit a été fondée sur un taux relativement faible d’accumulation. A mesure de l’avancée dans le cycle, la financiarisation a contribué à la réduction du capital variable par rapport au capital fixe et, enfin, à la maturation de la crise de surproduction du capital. La mondialisation financière a été le mécanisme par excellence pour restructurer, puis pour gérer le capitalisme restructuré, sur la base de la faible accumulation dans les secteurs productifs. La financiarisation (et la mondialisation qui s’y rattache) est un mécanisme qui produit à la fois l’expansion et la crise de ce cycle d’accumulation.
Cette relation très étroite entre le capital financier et le processus de production dans le contexte du capitalisme restructuré rend, d’une part, la dévaluation du QCF nécessaire pour provoquer une réaction en chaîne de dévaluation / renouvellement du capital fixe. Mais, d’autre part, elle la transforme en un processus qui serait très dangereux – étant donné la liberté absolue de circulation des capitaux – car ce serait un choc énorme pour les systèmes bancaires et par conséquent pour l’économie de chaque pays capitaliste. C’est une différence importante entre notre période de capitalisme restructuré et la période du keynésianisme/fordisme. L’internationalisation du capitalisme dans cette période-là était fondée sur une délimitation nationale de la reproduction des rapports sociaux capitalistes et sur le contrôle par le capital financier ; il était possible d’arrêter (ou du moins de contrôler efficacement) la circulation des capitaux au milieu d’une crise.
La condition préalable, pour le début d’un nouveau cycle d’accumulation, est que la dépréciation du capital fixe pendant la crise soit plus vaste et plus rapide que la dépréciation du capital variable. C’est cette phase du mécanisme de crise qui permet au taux de profit de «récupérer» et au processus d’expansion de la production pour chaque cycle d’accumulation de démarrer. La classe capitaliste a fait jusqu’à présent des efforts anxieux pour retarder l’inévitable déploiement d’une phase destructrice de la crise. Ces efforts dissimulent leur crainte des révoltes possibles du prolétariat, dans certains pays, mais ils exacerbent également les contradictions et conflits inter-capitalistes.
La deuxième phase de restructuration
Les nouvelles mesures sont imposées par le capital à un niveau quasiment mondial et elles constituent la deuxième phase de la restructuration (voir annexe). Ces mesures sont une tentative pour maintenir la structure actuelle de l’accumulation. Cet effort consiste en deux processus, liés l’un à l’autre:
Le premier processus est la valorisation partielle du QCF dans les secteurs et les industries qui sont principalement liés à la reproduction de la force de travail et la distribution de la plus-value produite (propriétés publiques privatisées ou bradées, restructuration des systèmes de sécurité sociale, etc.) Ce processus parcours le cycle d’accumulation, de la périphérie vers les centres d’accumulation. Il est également un élément important de toutes les guerres régionales à partir de 1980. Mais aujourd’hui, ce processus s’accélère, notamment en matière de privatisation de capitaux fixes qui, jusqu’à présent, appartiennent à l’Etat ou dont le principal actionnaire est l’Etat. La tentative de valoriser le QCF comprend le passage de plusieurs capitaux productifs sous le contrôle absolu du circuit financier ; c’est la forme actuelle de la centralisation du capital.
Le second processus est l’effort pour baisser encore le coût de la force de travail par la contrainte policière. Cette dépréciation est le résultat et la condition sine qua non de la tentative de valorisation partielle du QCF (La Grèce est un exemple typique à cet égard).
Ces deux processus définissent la deuxième phase de restructuration (nous sommes encore dans le cycle d’accumulation qui a commencé après la crise du keynésianisme / fordisme) et visent à augmenter le taux de plus-value, en partie grâce à l’extraction de plus-value absolue. La baisse du coût de la force de travail, qui était initialement responsable de l’expansion de la production dans le cycle d’accumulation actuel, est utilisée à nouveau comme un moyen de vaincre (ou de dépasser) la crise, et finit par l’aggraver.
Deux points sont importants ici: premièrement, la valorisation attendue d’une partie du QCF n’est possible que par la création de nouveau QCF (aux Etats-Unis, après le Quantitative Easing 1 (QE1) est venu le QE2, et l’Eurozone discute en permanence le refinancement des emprunts contractés par ses États membres en échange de mesures plus sévères, etc.) Ce paramètre tend à transformer la crise financière qui est actuellement en cours en une crise monétaire aiguë puis en une crise de la valeur. Deuxièmement, la privatisation des biens de l’état qui est le résultat (mais aussi une cause) des cas d’insolvabilité d’état qui se produisent partout dans le monde – signifie que la politique financière de chaque état devienne absolument contrôlée par le circuit international des capitaux financiers. Cette évolution a abouti à l’approfondissement de la crise existentielle de l’état-nation capitaliste comme entité politique autonome et a conduit à la crise de la mondialisation du capital elle-même (du moins telle que nous la connaissons aujourd’hui).
Cette réalité apparemment paradoxale a été produite par la relation contradictoire entre les états capitalistes et les capitaux qui se déplacent librement, surtout à partir de 1990. La soumission de chaque état (de la deuxième et la troisième zone du capital) aux diktats d’un capital international très mobile a été très importante pour la reproduction des rapports sociaux capitalistes dans la période actuelle. Dans de nombreux cas, une guerre fut nécessaire pour discipliner le prolétariat et/ou des fractions du capital national de chaque état. D’une part, l’assujettissement aux impératifs du capitalisme international a permis à ces états d’être intégrés au circuit international de l’accumulation, au cours de la période d’expansion du cycle d’accumulation (souvent par le biais de leur participation à un certain type d’union régionale). D’autre part, il a progressivement miné la capacité des états à gérer leurs problèmes sociaux internes et les a rendus plus vulnérables à la crise émergente. La relation controversée entre la mondialisation accélérée et le rôle administratif de l’état-nation dans l’imposition de ce processus a atteint ses limites dès le début du retour de la crise en 2008. La crise (d’abord financière) a imposé un «sauvetage du système financier» (temporaire), c’est à dire un effort pour maintenir la structure actuelle de l’accumulation. Ce «sauvetage» a été réalisé au moyen de nouvelles liquidités venues de la «propriété d’état» ou créées à partir de rien. Les deux méthodes ont rapidement conduit à la faillite de l’état. La plupart des états étaient déjà très endettés car, dans les dernières décennies, ils avaient considérablement réduits la fiscalité du capital et ainsi volontairement provoqués la remise en cause de leur budget. Ces défaillances rendent la privatisation des mécanismes de reproduction sociale (à l’exception de la répression) obligatoire et réduisent le rôle de l’état à la régulation de la concurrence capitaliste. La répression comme principal mécanisme de gestion de la force de travail est reconfigurée et adaptée aux besoins modernes (elle est orientée vers le contrôle anti-émeute en milieu urbain et la garde des frontières).
L’autre côté de la valorisation partielle du QFC est l’exclusion de la valeur de la force de travail du cycle de reproduction du capital. La restructuration des entreprises publiques (entre autres) et des services n’implique pas le renouvellement en capital fixe qui pourrait conduire à la création d’une nouvelle demande globale. Au contraire, elle ne produit que licenciements, coupures et dégraissements. La «reprise sans emploi» (tous les index économiques montrent la reprise, sauf l’emploi) est simplement une expression du fait que le mécanisme de crise n’a pas permit de surmonter la crise de suraccumulation. L’exclusion continue de la valeur de la force de travail produit des conditions sociales explosives dans tous les états capitalistes, indépendamment de la zone à laquelle ils appartiennent.
Un des résultats notables des efforts du capital (et du prolétariat) pour faire face à la crise est l’impasse explosive de la question migratoire.
Le flux de travailleurs migrants de la troisième zone du capital vers les deux premières atteint un seuil critique et il est bloqué. Ici nous trouvons le paradoxe d’une crise simultanée de la mondialisation et de l’état-nation. La spirale descendante de la dépréciation du travail, sur laquelle l’accumulation de la période actuelle (jusqu’à l’éclatement de la crise en 2008) a été fondée, a été un tel succès que sa propre poursuite est maintenant remise en question. Les murs érigés aux frontière et le flux continu d’immigrants, la police de l’immigration mise en place au niveau national et supranational, les centres d’accueil-détention ou les camps de travail et les émeutes qui ont éclaté là-bas, les cris à propos de la fin du multiculturalisme en Grande Bretagne (!), le discours de gauche sur un retour possible à un certain «développement national», sont tous des signes de la première phase (ou d’une face) de la crise de la mondialisation. Mais quand le flux de force de travail commence à être bloqué, tôt ou tard, la libre circulation des capitaux est également remise en question. En tout cas, les premiers signes de la crise de la mondialisation sont les «guerres des devises», les stratégies du «chacun pour soi» des états, et quelques grandes fusions et acquisitions, ce qui montre que les prétendus investissements directs étrangers commencent à se rapprocher de leur centre initial d’accumulation (les états de la première zone). Cela ne signifie pas qu’il y aura un nouveau cycle d’investissements dans la deuxième et troisième zone, ce qui exigerait une augmentation de l’accumulation dans ces ères. Pendant près de deux décennies, le solde net des flux de capitaux est fortement positif en faveur de la première zone.
Un retour à l’ancien modèle d’organisation capitaliste, dans lequel l’état-nation a eut un rôle central, est pratiquement impossible. Cette structure des relations capitalistes appartient au passé. Les conflits inter-capitalistes et l’intensification de la lutte des classes vont probablement produire une régionalisation de l’accumulation. Ce produit de la crise, qui inclut beaucoup de conflits, ne semble pas être actuellement en mesure de mener un nouveau cycle d’accumulation, même si elle implique une dévaluation de fait du QFC. Les relations entre les régions de la nouvelle régionalisation du capital seront naturellement hostiles. Ces régions proviennent de l’évolution historique des cycles précédents de l’accumulation du capital. Certaines d’entre elles, en particulier dans la troisième zone, qui n’appartiennent pas à l’une des régions d’accumulation, mais aussi certaines régions de la seconde zone pour laquelle il est difficile de rester inclus dans le modèle actuellement appliqué par le capital financier sont déjà, ou seront , les premiers champs de bataille de la lutte de classes intensifiée et des conflits inter-capitalistes. Les centres d’accumulation de la première zone tentent de piller les ressources et de gérer la reproduction du prolétariat qui vit dans ces régions. Cela ne signifie pas que la bourgeoisie de ces états va «résister» à cette attaque. Au contraire, les factions les plus puissantes abordent cette crise comme l’occasion de grimper dans la hiérarchie interne et de dévorer les factions du capital les plus faibles. Ces dernières et les strates petite-bourgeoises sont bloquées et, en temps de crise, elles se tournent vers les tendances nationalistes, afin de se protéger. Les contradictions sociales dans ces régions sont en pleine explosion, car il devient de plus en plus clair pour les prolétaires qui y vivent que la continuation du capitalisme ne comprend pas (pour une bonne part d’entre eux) leur force de travail. D’autre part, on ne peut pas considérer comme certain que la tendance objective à la régionalisation de l’accumulation sera mise en œuvre.
De sérieuses frictions existent entre les principaux acteurs de la zone euro autour de la question de l’immigration. De nouvelles forces apparaissent dans l’ensemble du Moyen Orient et du Golfe persique, comme l’Iran, la Turquie et même le groupe des Etats constituant le «Conseil de coopération du Golfe», qui tentent de devenir, dans la mesure du possible, autant de régions d’accumulation autonome. La crise de reproduction du prolétariat, d’une part, milite pour la régionalisation et, d’autre part, tend à dissoudre complètement le système mondial.
L’attaque impérialiste contre la Libye a lieu dans le contexte de la crise de la mondialisation. Elle reflète les efforts frénétiques du capital international pour profiter du chaos créé par les soulèvements arabes et africains. En outre, elle est un avertissement pour le prolétariat (et les couches moyennes) dans les autres pays de cette région sur ce qui se passera s’ils continuent le soulèvement.
Les soulèvements arabes et africains, qui sont un catalyseur dans le développement de la crise, appartiennent également à ce contexte. Alors que la forme politique de la dictature est mise en cause par le prolétariat (et pas seulement), la rébellion a un caractère «anti-État» (mais pas anti-national) et c’est la manière dont elle exprime la crise de la mondialisation. Cette dimension de l’insurrection est essentiellement une tentative pour sauver le capitalisme lui-même, en sauvegardant le statut de travailleurs «libres» du point de vue tant du prolétariat, mais aussi en assurant une concurrence plus “ libre ” du point de vue des fractions de capital qui étouffaient sous cette forme politique. Cerise sur le gâteau, cette remise en question se passe à l’exact moment où la forme politique du capital (un nouveau totalitarisme) tend à être appliquée à la Grèce et, éventuellement, à d’autres pays de la deuxième zone du capital. Cela crée un mouvement contradictoire double. D’une part, l’Etat grec est confronté à la difficulté d’imposer les nouvelles mesures car elle craint des troubles et, d’autre part, il est possible que les révoltes arabes et africaines, parce qu’elles contribuent à l’aggravation de la crise du capitalisme restructuré (qui se traduit également dans l’augmentation des flux migratoires), rendront plus immédiate la nécessité d’accélérer la deuxième phase de la restructuration en Grèce et en Europe en général.
L’autre pôle de la contradiction, le prolétariat, tend à apparaître de plus en plus de l’autre côté de la barricade du conflit qui est en train de se produire. Sous-évalué comme force de travail, fragmenté, largement surnuméraire et sans l’identité et la fierté du travailleur, le prolétariat, dans la plupart des pays du monde, est dans la tourmente. Dans le texte «La production historique de la révolution de la période actuelle » nous avons traité de certains aspects importants de cette activité: enlèvements de patrons afin de réclamer des indemnités de licenciement en Europe, grèves sauvages dans les centres d’accumulation d’Asie de l’Est, émeutes localisées en continu en Chine, émeutes qui ont secoué la Grèce et la France mais qui n’ont pas atteint les sites de production, et «rébellion avec revendications » dans les Caraïbes en 2009. Nous pouvons résumer les faits saillants de la dernière année comme suit: en Octobre 2010, la partie «stable» du prolétariat en France fait une tentative infructueuse de retarder l’imposition de la deuxième phase de restructuration (dans la forme prévue pour les pays de la première zone). En automne, les étudiants se révoltent contre les coupes sombres en Grande-Bretagne et en Italie. Les travailleurs du public se sont rebellés à leur façon dans le Wisconsin (initiant un conflit inconnu durant les dernières décennies aux États-Unis). Au Mozambique, avec un avant-goût de ce qui allait suivre début 2011, les émeutes de la faim éclatent en Septembre 2010. Les grèves sauvages ont continué en Asie orientale, l’agitation contre la forme répressive de la reproduction sociale à travers le continent africain s’est intensifiée. En Décembre 2010- Janvier -2011, la révolte arabo-africaine éclate, et il s’avère que cela va être le catalyseur historique pour entrer dans «l’ère des émeutes », la phase transitoire de cette crise. L’activité du prolétariat dans la crise actuelle produit (à travers ses manifestations diverses) l’appartenance de classe comme une contrainte extérieure. Cette réalité est exprimée comme un manque de vision ou d’organisation de classe, comme un manque d’une vision pour la transformation de la société capitaliste en «société de travailleurs », une société qui est censée se composer d’une seule classe. La production de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure émerge de façon différente dans chaque zone du capital mondial, mais aussi dans chaque état de chaque zone. Ces différents aspects sont des moments d’une totalité qui découle du fait que la deuxième phase de la restructuration s’installe maintenant, produisant un excédent de population en croissance rapide. Simultanément, elle n’augmente pas la proportion du capital variable dans le capital social total, c’est-à-dire qu’elle intensifie qualitativement et quantitativement l’impasse de la crise et ne produit pas d’issue.
France: Radical ou non, le syndicalisme est encore là.
Si la limite des luttes de classe aujourd’hui n’est plus cet «autre monde possible», quelle est la nouvelle forme et le nouveau contenu qui définit la lutte des classes? Peut-être mieux que partout ailleurs, la gravité de la situation actuelle s’est révélée en France avec le mouvement revendicatif de l’automne passé. L’Etat a soudainement déposé un projet de loi augmentant l’âge de départ à la retraite, posant un dilemme implacable pour le prolétariat: « on ralentit l’augmentation de la dette à vos frais ou la solvabilité du pays va souffrir », comme Sarkozy le déclarait, montrant du doigt la Grèce en menaçant. Ce plan était relié à la crise de la zone euro et à la nécessité, pour l’Etat français, d’accélérer la restructuration. Mais le résultat a été l’éclatement d’un mouvement qui, dès le début, a été clairement confronté à l’objectivité du capital: l’économie.
Un élément important cette fois fut la coexistence, au sein du mouvement français, de prolétaires jeunes et plus âgés (qui développaient des activités parallèles). La plupart des participants plus âgés appartenaient aux couches salariées moyennes, tandis que la plupart des plus jeunes n’était pas étudiants mais lycéens. La relation entre ces deux segments du mouvement fut particulièrement complexe. Ils avaient sans doute un point de départ commun: les retraites. Mais ce fut une préoccupation commune, pas une perspective commune. Les participants plus âgés appartenaient au segment de population générant la figure imaginaire du consommateur moyen: ils pouvaient presque apparaître comme une publicité fanée datant de la période fordiste. Le fait de miner leur chance de survivre à leur vie professionnelle était simplement une autre étape dans la violation du contrat social fordiste. Les participants les plus jeunes ne sont pas seulement confrontés aux deux années supplémentaires de l’âge de la retraite : ils doivent travailler quarante ans pour se qualifier pour la retraite, alors qu’ils savent qu’ils seront chômeurs en attendant .Le piège d’une vie contenant seulement travail précaire, chômage et mort devenait commun à tous.
Les pancartes soulignant que les intérêts concrets immédiats des jeunes en France étaient attaqués, comme le fait que l’allongement de l’âge de la retraite rend leur entrée sur le marché du travail encore plus difficile, a constitué un aspect des pratiques qui ont marqué cette cohabitation. L’autre aspect est leur absence totale de revendications ainsi que leur attitude envers la répression. Les jeunes ne demandaient rien ; l’Etat envoyait immédiatement la police contre eux à partir du moment où ils étaient dans les rues, même s’ils ne bloquaient que leurs écoles dévalorisées, et non la production. Ces deux éléments montrent qu’aucune des parties en présence n’admettait l’autre comme un interlocuteur pour organiser l’avenir. La jeunesse voyait l’Etat comme un tyran, et l’État voyait les jeunes comme une main-d’œuvre excédentaire à venir qui doit être réprimée à tout prix. L’intervention policière dans les écoles visait clairement à enseigner la discipline, la seule leçon utile pour les jeunes. Comme situation objective et comme activité, la jeunesse incarne, en condensé, l’absence d’avenir.
Cependant, le mouvement en France a largement pris une forme syndicaliste dans un processus de radicalisation. Ce fut un mouvement revendicatif purement défensif, avec sa stratégie et ses tactiques, et avec également la coexistence conflictuelle inéluctable de l’auto-organisation et du syndicalisme officiel. L’affaiblissement du syndicalisme officiel est si clair qu’il est pratiquement passé d’un mécanisme de négociation du prix de la force de travail à un mécanisme de gestion et de répartition hiérarchique, principalement pour des individus des couches moyennes de la classe ouvrière, un mécanisme qui est sans doute parfaitement identifié au capital, mais sans alternative. Comme les partis, les syndicats sont des institutions sans adhérents, les derniers restes de l’identité ouvrière défunte. C’est dans ce vide que l’activisme émerge. L’activisme, une tendance caractérisée par sa mobilité intense, vise à devenir un catalyseur des mouvements à travers les conséquences objectives de cette mobilité sur l’économie. Les tentatives de contrôle intérieur du mouvement par les syndicalistes de la CGT et leur incapacité à proposer une solution et une fin décente au mouvement, se combinent avec la pression des militants sur les syndicalistes pour la poursuite de la lutte. La coopération inévitable avec eux, cette sorte d’osmose permanente, nous rappelle que le syndicalisme n’est pas seulement forme, mais aussi contenu.
Le contenu du syndicalisme radical, du militantisme ou du «mouvementisme» comme il a été appelé en France, s’est exprimé de façon plus marquée dans les blocages. Sa manifestation la plus dynamique a été le blocage des raffineries de pétrole – sa force et aussi sa limite. Les blocages ont été le résultat d’une contradiction: la pression de la base d’une part, l’impossibilité de faire grève et de perdre des revenus d’autre part. Mais ils constituent un substitut plus approprié aux grèves que les manifestations, et ils ont atteint leur limite menaçante qui consisterait en leur transformation en blocages réels. Le fait que les manifestations aient persisté si longtemps était lié aux blocages. La stratégie des syndicats, à savoir l’affaiblissement du mouvement dans la durée, a échoué, et elle a conduit à un dépassement de la pratique des manifestations. Les blocages ont été considérés par les militants comme un moyen pour bloquer l’économie. Cet objectif montre, d’une part, l’importance de la distribution comme partie intégrale du cycle du capital. D’autre part, cependant, il exprime une idéologie affirmant que la question ne réside pas dans la production de valeur, mais dans sa circulation. Quoiqu’il en soit, au bout du compte, l’économie n’a pas été bloquée. Mais le simple fait que, depuis le début du mouvement, le blocage de l’économie soit un objectif acceptable, ou au moins souhaité, montre un dépassement relatif du mouvement anti-CPE. La pratique des blocages aggravait les contradictions et les affrontements au sein du mouvement revendicatif. La question était posée de savoir si, et dans quelle mesure, les blocages devaient être symboliques ou réels, et les syndicats eurent du mal à contrôler les personnes qui affluèrent à Grandpuits. La priorité fixée par les syndicats fut la protection des installations des raffineries, et de cette façon, il est devenu encore plus évident que la protection du travail est avant tout la protection du capital. Comme activité, les blocages n’ont pas mis en question les revendications, mais ils ont constitué la limite de l’activité produite par l’illégitimité des revendications.
Quel est, plus généralement, le résultat d’un syndicalisme instable et circonstanciel? En France, l’Etat a attendu que les grévistes des raffineries se lassent et arrêtent les blocages. Ils les ont traités comme une étape gênante, mais inévitables dans l’évolution de la situation. En fait, les militants bloquant les raffineries ont mendiés à l’Etat la négociation avec eux en vue d’une solution. Mais l’Etat ne pouvait que les laisser “danser autour” pendant quelques jours et ensuite envoyer la police. La dynamique interne contradictoire du mouvement n’était cependant pas assez conflictuelle pour aboutir à une remise en question significative de son caractère revendicatif. La limite du mouvement français exprime la limite de la lutte des classes aujourd’hui. Il s’agit d’un bi-pôle correspondant directement à la réalité concrète de deux classes opposées. D’un côté, le caractère de classe de l’action du prolétariat, exprimée dans toutes ses exigences, qui pourrait être réduite à la demande d’une perpétuation de son existence de classe, et donc aussi du capital. De l’autre côté, «la police», qui est l’ennemi de classe prêt pour la bataille.
La conclusion qu’on peut tirer du mouvement français est que la l’illégitimité de la revendication est tellement avancée qu’elle ne permet plus l’installation d’un syndicalisme radical en lieu et place de l’alternativisme du mouvement anti-mondialisation. L’absence d’un programme politique ne doit cependant pas entraîner une perception mécaniste de la réalité. Le “programmatisme” est un élément inhérent à la lutte des classes et continuera à se manifester, au moins pendant les premiers stades de la plupart des luttes. Tant que le prolétariat reste du prolétariat, il va produire la même chose que chaque organisme vivant: la revendication d’une perpétuation de son existence. Grâce à l’évolution contradictoire de cette revendication, l’activité du prolétariat contre le capital, l’exploitation comme une contradiction entre les classes, produit historiquement la révolution. Le fait que la revendication d’une perpétuation de son existence et la révolution comme son auto-abolition soient portés par la même classe est, non seulement en apparence mais aussi réellement, tautologique: il définit la «tautologie nécessaire et impossible», il définit le rapport capitaliste comme une «contradiction en procès».
Dans ce qui suit, nous citons les observations de certains camarades sur le mouvement français. Ces commentaires ont été trouvés sur le site dndf.org :
« Ce mouvement n’a jamais cru pouvoir gagner, là n’était pas la question; il s’agissait d’exprimer son ras le bol,. […] s’il n’y a plus d’affirmation possible, il n’y a plus, non plus, d’implication garantie par le capital (d’où plus de vraies négociations avec les syndicats) […] Le démocratisme radical est bien mort; on na pas entendu réellement de contre- proposition au projet et le PS, qui s’y est essayé, l’a vite bouclée! […] la revendication inéluctable quand elle est illégitime (qu’elle ne fait plus système avec l’autoprésupposition du capital qui doit reproduire la classe face à lui) ça donne cette auto-affirmation à vide, cette haine qui ronge son frein […] le syndicalisme dans l’illégitimité de la revendication devient une impossibilité qui peut générer un syndicalisme radical de base sous diverses formes organisationnelle ou informelles instables car toute organisation de classe jusqu’à la crise révolutionnaire ne peut qu’être syndicaliste […] La haine de L’ECONOMIE comme mode de vie est en train de s’installer sans qu’une “Autre économie” soit réclamée c’est ça la spécificité du mouvement d’octobre.
[…] Je crois qu’il est plus fécond de voir dans les événements la crise de la revendication. Son illégitimité généralisée. Un pas de plus est franchi. Entre le CPE et les retraites, on est passé d’un mouvement qui “a gagné” le retrait (pas en soi une revendication positive) à l’échec revendicatif absolu de ce mouvement. […] Dans la caducité du programmatisme et l’effondrement du démocratisme radical (la démocratie n’est plus de part et d’autres qu’une référence de principe, vide d’alternative, et certains des partisans du démocratisme radical y perdent leurs repères idéologiques), Marx le programmatique tend à être inversé : il n’y a pas de lutte anti-syndicale qui ne soit anti-politique. La lutte de classe va trouver son terrain. […] Il est plus important de saisir comment ces limites [syndicalistes] prennent un autre caractère aujourd’hui, avec la revendication illégitime, le fait que ces limites naissent dans la restructuration permanente de la contradiction de classe au niveau mondial. Il est plus important de voir que cela génère une lutte anti-économique, donc nécessairement, dans un conflit donné, des oppositions avec le syndicalisme lui-même cantonné par définition sur ce terrain.
Il est plus important de saisir comment ces limites prennent un autre caractère aujourd’hui, avec la revendication illégitime, le fait que ces limites naissent dans la restructuration permanente de la contradiction de classe au niveau mondial. Il est plus important de voir que cela génère une lutte anti-économique, donc nécessairement, dans un conflit donné, des oppositions avec le syndicalisme lui-même cantonné par définition sur ce terrain. […] Le contenu dynamique de l’anti-syndicalisme, c’est l’anti-économique. Le syndicalisme se met en contradiction avec lui-même quand la revendication devient illégitime […]
[…] Toute lutte revendicative suit un cours, et les objectifs, détonateurs ou motivations de départ, causes immédiates, évoluent chemin faisant pour se confronter à la totalité du problème tel qu’il se pose actuellement, ni hier, ni demain. Ceux qui se battent peuvent changer de compréhension et de position. Il est faux d’affirmer que le “partage des richesses” aurait été un objectif réel de ce conflit. De ce point de vue, on s’est souvent bougé pour le principe, pour en être, ne pas resté passif, tout en doutant majoritairement d’une issue positive. Cela tend à la généralisation d’une lutte désespérée.
A un moment donné, on peut espérer et penser que dans une situation de crise où le capital ne peut plus reproduire le prolétariat, condition de son existence, celui-ci, en bonne proportion, n’aura pas envie de revenir à un statut de prolétaire. »
Moyen-Orient et Maghreb: La répression et l’exploitation, les deux allumettes qui ont mis le feu de la “révolte populaire”
Alors qu’en France la situation devient sérieuse avec la consolidation de l’illégitimité totale des revendications salariales qui est actuellement en cours (et qui peut apparaître encore plus intensément, aux Etats-Unis, dans un proche avenir), dans les pays arabes et africains, il est plus clair que jamais que la marginalisation de la vaste majorité des jeunes prenant part aux révoltes est la définition même d’une nouvelle phase de la crise. Evidement, la situation n’est pas identique dans chaque État. Chacun a sa propre structure de classe et peut être différent des autres sur des points importants, comme l’influence de la religion, la question du genre, et la position dans la hiérarchie mondiale des Etats capitalistes. Pourtant, nous ne pouvons pas négliger certains aspects communs qui découlent de la situation objective, et de l’activité du prolétariat et des couches moyennes locales (la petite bourgeoisie et les couches supérieures de travailleurs salariés) qui sont rapidement prolétarisées. Dans un premier temps, il est important d’examiner les éléments qui sont communs entre ces états et non leurs différences. Outre les aspects structurels communs à ces états (la langue, et dans une large mesure, les religions et l’assujettissement aux centres d’accumulation occidentaux garanti par les régimes autoritaires), il ya aussi d’importants éléments communs relatifs à la conjoncture. La situation économique en Tunisie et en Egypte, juste avant le soulèvement, était semblable, mutatis mutandis. Les taux de croissance étaient d’environ 5%, le chômage structurel et la précarité étaient très élevés, surtout pour la jeune génération, dont l’importance sociale est énorme en raison de la structure démographique particulière. En Egypte, la grande majorité du prolétariat est très pauvre, avec un «revenu moyen par habitant » d’environ 2.000 dollars par an, étant donné que plus du cinquième de la population a un « revenu moyen » de 2 dollars par jour. L’appauvrissement des classes moyennes a été intensifié ces dernières années, surtout depuis 2008, du fait de l’augmentation des prix des denrées alimentaires.
L’évolution de chaque état, du nassérisme au néolibéralisme, bien différente en intensité et en vitesse, présente également des éléments commun: la répression écrasante et en constante évolution a encouragé et protégé la «rupture du contrat social» jusqu’à l’éclatement de la révolte, mais a aussi donné au soulèvement son caractère anti-répression. La répression dans ces Etats a été dévastatrice, y compris pour la classe moyenne. Un exemple typique est l’assassinat de Khaled Said, à l’été 2010 à Alexandrie. Son assassinat a provoqué des protestations qui préfiguraient les révoltes actuelles. Il fut suffisamment important pour mobiliser les jeunes de la classe moyenne. C’est la goutte qui a fait déborder le vase! La dépréciation, la dépendance absolue envers l’état et le manque d’avenir, ne pouvait plus être toléré par la jeune génération. L’importance de la question démographique est illustrée par le fait que dans toutes les factions politiques (de la gauche aux islamistes), il ya une division horizontale entre les anciens et les jeunes générations. La répression comme reproduction sociale, comme dépréciation de la force de travail, a été simultanément la force motrice du développement économique dans ces états et la limite de cette forme de domination politique: le 17 Décembre 2010, Mohamed Bouazizi a déclenché l’incendie qui l’a tué, en allumant dans le même temps le feu de la révolte. Son immolation fut le côté négatif de l’impasse actuelle du capitalisme. L’exclusion de la valeur de la force de travail du cycle de reproduction du capital, la dépréciation continue et la destruction de capital variable qui domine la crise jusqu’à présent, défini le contexte du suicide d’un jeune Tunisien sans avenir. Dans le même temps, l’impact que ce suicide a eut sur la lutte des classes a confirmé que nous sommes maintenant dans une période transitoire de cette crise : l’époque des émeutes.
En dehors de la dépendance des couches moyennes et petites bourgeoises par rapport à l’état, la gestion néolibérale répressive des relations sociales avaient comme objectif principal la dépréciation de la force de travail. L’attaque contre la classe ouvrière n’est pas restée sans réponse; on pourrait dire qu’il y a eut une symétrie entre l’intensité de cette attaque et le renforcement des grèves ces dernières années. Les grèves les plus importantes ont eu lieu en Egypte en 2006, et en Tunisie en 2008, à Mahalla et Gafsa respectivement. Au moins 2 millions de travailleurs ont participé à des grèves en Egypte au cours de la dernière décennie. Ces grèves concernaient des revendications salariales. La caractéristique importante est qu’elles se sont produites localement, parce que les travailleurs ne faisaient confiance qu’à leurs relations interpersonnelles. Cela était dû à l’intégration de l’ancienne gauche stalinienne par Moubarak et au fait que les syndicats étaient devenus des instruments de la mafia d’état. Le lien entre l’exploitation de la classe ouvrière et l’absence d’avenir pour la nouvelle génération de la classe moyenne fut matérialisé par «le mouvement du 6 avril» de la jeunesse, qui allait plus tard jouer un rôle dans les événements de la place Tahrir.
La répression étatique et/ou religieuse et la surexploitation, résonnent dans la question du genre. L’installation temporaire d’un Premier ministre islamiste (Ganoutsi) en Tunisie et les quolibets contre les femmes de la part les occupants mâles de la place Tahrir le 8 Mars ont justifié les inquiétudes d’une ancienne militante du mouvement féministe: «L’histoire nous a appris comment les révolutions populaires avortent du fait des restes du régime déchu, et la première chose à être abandonnée, c’est les droits des femmes “, (Al-Ahram Weekly, 26 Février 2011). En Tunisie, plusieurs femmes ont défilé le 29 Janvier, afin d’affirmer qu’elles n’accepteraient pas une dévalorisation des femmes ni par les islamistes, ni par «quiconque». Sana Ben Achour a déclaré qu’ils n’avaient pas renversé une dictature pour entrer dans une autre, « d’un autre type ». Les femmes sont les sujets les plus opprimés de ces régimes autoritaires (plus ou moins) islamistes et en même temps néo-libéraux. Leur activité est un indicateur qualitatif clair de l’agitation sociale, qu’il s’agisse des femmes du mouvement du 6 avril de la place Tahrir, ou des femmes de Benghazi, dont les relations s’approfondirent au cours du mouvement de protestation contre le massacre à la prison d’Abou Salim.
Au bout du compte, on constate que les rebelles semblent être conscients du fait que cette région est destinée à l’exploitation rapace et la gestion répressive du prolétariat surabondant. Cette situation produit un ensemble de pratiques et d’idéologies parmi les rebelles selon leurs origines de classe, sexe, âge, ou l’état où ils vivent, et selon la dynamique complexe des interactions entre ces facteurs.
Du pain, de l’eau et évincer Ben-Ali
De façon évidente, la participation à la rébellion est en soi un processus de dissolution. Les principaux liens sociaux et les institutions qui définissent les rapports sociaux capitalistes sont interpellés dans le processus de révolte. La révolte implique l’auto-transformation de chacun en prolétaire en lutte, elle entraîne une prolétarisation soudaine et violente de toutes les catégories sociales, puisque le quotidien de la rébellion est tout simplement fait d’action, de solidarité, de relations directes (même les conflits personnels ont tendance à être sans médiation) et d’affrontements avec les forces de répression. Si cette observation est importante pour répondre une fois pour toutes à la propagande de l’état qui parle d’un «mouvement strictement politique», au niveau de l’analyse, il est important de voir les différences entre les pratiques des rebelles. Il est important de reconstituer dialectiquement la réalité fragmentée de ces révoltes pour comprendre ce qui est à la fois leur puissance et leur limite, c’est à dire comment ils se définissent et comment ils sont définis par cette phase de transition de la crise.
La rupture principale dans les pratiques des rebelles fut celle entre d’une part les émeutes, les pillages, sabotages, attaques des prisons et des commissariats de police, et d’autre part, la rhétorique de la démocratie, des libertés civiles, des élections, et ainsi de suite. Le deuxième pôle de cette opposition représente la schizophrénie du petit bourgeois et des classes moyennes rapidement prolétarisées. Cette contradiction découle également de l’élimination violente de l’avenir pour la presque totalité de la nouvelle génération (le taux de chômage officiel de la jeunesse est de près de 60%). Les récits des insurgés en Egypte expriment au mieux cette schizophrénie. On peut voir que les chômeurs instruits, ou que les jeunes salariés du public qui meurent presque de faim, ne réalisent pas que leur situation est une image de l’avenir de leurs homologues européens et américains. Bien qu’ils comprennent le capital comme quelque chose de totalement étranger à eux (ils se réfèrent constamment à la corruption et à la « cleptocratie »), ils ne comprennent pas (du moins pas encore) que cette période du capitalisme, et sa crise, les produisent comme «éloignés». La soif de démocratie des couches moyennes est en fait une soif de justice, à savoir de méritocratie. Ils demandent à être utilisés pour ce qu’ils ont été formés à faire, pour la continuation du capitalisme et sa gestion efficace. Ils exigent du capital, qui les a produits comme ils sont, de trouver un moyen de les intégrer dans le processus de production, ils exigent la période de prospérité que le néolibéralisme a réservé aux Européens et aux Américains de la même classe. Cette partie de la population ne sera satisfaite par rien d’autre. Ceci est illustré par le fait qu’une partie d’entre eux s’est rapidement radicalisée, mais aussi par le fait que la remise en question du néolibéralisme s’exprimait par un discours sur la nation (et non sur la religion), c’est à dire par un discours sur la mise en cause pratique de la mondialisation et de la circulation internationale des capitaux dont les fonctionnaires ne sont plus considérées des interlocuteurs crédibles. Mais cette partie des insurgés est prise dans un double piège: d’une part, la classe capitaliste les pousse d’autant plus violemment dans l’enfer de la population excédentaire et, d’autre part, une partie de cette population excédentaire ne verse plus dans la démocratie ni la demande de justice, mais juste dans les émeutes, les pillages, les destructions ce qui signifie qu’elle ne revendique rien, ou alors elle ne participe pas à la révolte. La petite bourgeoisie et les couches moyennes qui participent aux émeutes se désintègrent dans le prolétariat, mais cela ne signifie pas que leur idéologie disparaît. Au contraire, cette dissolution participe encore plus intensément de la démocratisation du mouvement (ce qui est inhérent à un mouvement de classe): un communiqué diffusé par les travailleurs de l’industrie sidérurgique réclame, entre autres, la « démission immédiate du président et de tous les symboles du régime, la dissolution de la fédération syndicale qui a été «le laquais de Moubarak» et la création immédiate, par le biais d’assemblées générales, d’un syndicat indépendant, sans aucune permission ou accord d’un régime déchu qui a perdu toute légitimité, la confiscation de toutes les sociétés d’état qui ont été privatisées et leur re-nationalisation, la création d’une nouvelle direction de ces entreprises composée d’ouvriers et de techniciens qui ne sera responsable que devant le peuple, la création de comités de travailleurs pour la gestion de la production, des prix et des salaires, la création d’une assemblée générale de toutes les tendances politiques du «peuple» qui produiraient la convention constitutionnelle et élirait des comités réellement populaires indépendamment de ce que veut le régime »
« Heureusement, la masse humaine menaçante (le prolétariat de ashwa’iyyat) a été totalement absente de la révolte … » (Ashwa’iyyat est le mot égyptien pour désigner les bidonvilles de la banlieue du Caire). Extrait de l’interview d’un sociologue de gauche dans le New Left Review Journal
Le prolétariat fragmenté, précaire ou inemployé était présent de façon distincte (comme en Décembre 2008 en Grèce), caractérisé par une absence complète de revendications et par l’organisation non médiatisée des rebelles (à l’exception de la Libye: il est encore trop tôt pour parler des événements là-bas). En fin de compte, cependant, leurs pratiques fusionnèrent avec les revendications de démocratisation qui dominèrent le mouvement. Cette synthèse était fondée sur la réalité «programmatique» du prolétariat et son idéologie. La dialectique entre les fractions du mouvement n’a pas conduit à une rupture, elle n’a pas entraîné le dépassement de ce bi-pôle. Au contraire, elle a entrainé sa consolidation provisoire et précaire, à savoir la coexistence de ces pratiques, qui marque une phase transitoire de cette crise.
Tant que le prolétariat se bat comme prolétariat, il sera toujours confronté à la question de la poursuite de sa reproduction, c’est-à-dire de la pérennisation de son existence. Le virage le plus controversé et le plus important des manifestations en Egypte fut l’apparition de la classe ouvrière comme sujet unifié, à travers les syndicats. Ca n’est qu’au moment ou la classe ouvrière s’est tourné vers un Etat prétendument neutre, représenté par l’armée, que la balance a penché du coté de la chute de Moubarak. C’est seulement alors que la révolte a obtenu satisfaction de ses revendications et que, nécessairement, s’est imposée la contre-révolution qu’elle portait en son sein. En Egypte et en Tunisie la «démocratie» a triomphé juste avant le grand massacre. Il n’est pas étonnant que la démocratie ait pris la forme de la dictature militaire en Egypte, et d’un gouvernement comprenant des membres de l’ancien gouvernement de Ben Ali en Tunisie.
Le caractère massif et donc la composition interclassiste définit les soulèvements qui ont emporté tous ces états. La coexistence de différentes classes ne doit pas être perçue comme «la classe ouvrière combattant » rejointe de l’extérieur par les couches moyennes. En revanche, la participation de ces catégories sociales et leur démantèlement dans le mouvement ont été cruciaux pour son évolution. Cette évolution ouvre une importante question théorique sur la relation entre les populations excédentaires et le reste du prolétariat face aux couches petite-bourgeoises rapidement prolétarisées. La coexistence de différentes classes sociales n’a pas été très conflictuelle, car aucune question sur les mesures communistes ne pouvaient être posées ; sinon cela serait revenu pratiquement à contester tout projet de la classe moyenne de perpétuation du capitalisme. La composition interclassiste du mouvement fut simultanément sa puissance et sa limite. Grâce à cette composition, il a réussit à terminer une tâche titanesque, contester les dictatures féroces au pouvoir pendant des décennies. Mais les pratiques produites à partir de la dynamique de cette composition a aussi donné à l’état le droit de s’élever au-dessus de sa forme concrète, même pour la dénoncer, de changer de camp, pour rejoindre les insurgés et mettre en œuvre la contre-révolution qu’entraîne la révolte elle-même. L’état doit être protégé de la lutte de classe afin de continuer à être l’état de la classe capitaliste. L’activité des rebelles a permis à l’état de jouer ce rôle. La rupture interne nécessaire entre les pratiques des rebelles, qui aurait porté atteinte à la capacité de l’état de jouer un rôle de médiation, n’a pas été créée.
Les dictatures démocratiques et les référendums témoignent simplement du fait que nous sommes dans une phase de transition. Reuters souligne avec justesse: «L’Egypte présente une nouvelle dynamique. Elle pourrait devenir un aimant pour les investisseurs, tant la force de travail et la terre sont bon marché ». En d’autres termes, bien que la manœuvre politique soit nécessaire au rétablissement de l’ordre, ce qui importe vraiment pour le capital c’est la dépréciation constante de la force de travail. Mais la lutte de classe a la particularité de fonctionner comme une réaction en chaîne, étant donc en elle-même une cause de sa propre reproduction. L’énergie dégagée par les émeutes et les manifestations contre ces régimes était si puissante qu’elle a laissé libre cours au chaos. Nous ne devrions pas sous-estimer le fait que l’appel à la démocratie est avant tout une revendication du droit de grève. En moins de deux mois, le réseau de syndicats indépendants a été renforcé en Egypte. Ces syndicats sont maintenant actifs et provoquent des blocages du processus de production. En outre, des incidents violents dans la vie quotidienne révèlent que les relations sociales ont subi d’importantes perturbations, que les rôles sociaux ont été contestés. Le23 Mars 2011 la nouvelle junte égyptienne (bénie par la rébellion) a adopté une loi qui criminalise les grèves, les manifestations et les rassemblements, et le 9 avril, date anniversaire des deux mois de la chute de Moubarak, cette loi fut appliquée: ils tuèrent six manifestants et en blessèrent des centaines sur la place Tahrir. Le ministère de la Justice de la junte a publié une déclaration assurant le droit pour le prolétariat de se plaindre, mais en veillant « à ne pas entraver le processus de production et à ne pas provoquer le chaos. » La contre-révolution portée au sein de la révolte dans les pays arabes et africains n’a pas été promue seulement par l’Etat. Nous avons lu dans un article de P. Anderson dans la New Left Review sur les développements en Tunisie: « La jeunesse de tout le pays a continué à se rassembler de temps en temps sur la place de la Kasbah à Tunis pour faire pression sur le gouvernement intérimaire. Début Mars, ils ont réussi – après une nouvelle série d’affrontements avec la police – à obtenir la démission d’encore plus d’anciens politiciens. Dans le cadre de ces efforts, un haut-commissariat pour la sauvegarde de la Révolution a été créé, qui comprend parmi ses membres des syndicalistes et des marxistes. » Dans le même article de P. Anderson, nous trouvons le résumé de cette contre-révolution dans un langage plus familier pour le prolétariat que la langue sévère de répression d’état: «La priorité stratégique pour une gauche ré-émergente dans le monde arabe doit être de fermer la faille dans les révoltes en luttant pour les formes de liberté politique qui permettront à ces pressions sociales de trouver une expression collective optimale. Cela signifie d’une part: appeler à l’abolition complète de toutes les lois d’urgence, la dissolution du parti au pouvoir et la destitution de la famille régnante, nettoyer l’appareil d’état des vautours de l’ancien régime et traduire en justice ses responsables. D’autre part, cela signifie une attention soignée et créative dans les détails de l’écriture des constitutions à venir, une fois les vestiges de l’ancien système balayés. Les principales exigences sont: libertés illimitées dans l’expression et l’organisation syndicale et civile ; système électoral non faussé – c’est-à-dire proportionnel et non à la majorité-, fin des présidences plénipotentiaires; blocage des monopoles – publics ou privés – des moyens de communication et accès statutaires des moins favorisés à la protection sociale. Ce n’est que dans un cadre ouvert de ce type que les revendications de justice sociale, avec lesquelles la révolte a commencé, peuvent être réalisées dans la liberté collective qui leur est nécessaire. ».
Prenant en compte la question de la régionalisation et les conflits inter-capitalistes connexes, on peut voir que la « victoire des révolutions» en Egypte et en Tunisie produit une nouvelle impasse. La Libye et la Syrie – deux Etats dans la structure de classe desquels les conflits raciaux et religieux jouent un rôle clé – ne pouvaient contenir que le début de l’avenir sanglant de la lutte des classes et des conflits inter-capitalistes. Les luttes récentes reflètent les deux aspects fondamentaux du processus qui produit la révolution de la période actuelle: premièrement, l’illégitimité de la revendication, c’est à dire que la revendication est transformée en un composant de la reproduction des classes, qui tend à être marginalisé et réprimé, et ensuite, la distance interne produite entre les pratiques prolétariennes, dans le cours de la lutte des classes. Ces deux aspects de la lutte des classes sont produits dans chaque zone du capital, malgré toutes leurs différences, et s’imposent par l’objectivité du capital, l’économie. Nous pouvons risquer la prédiction du fait que nous entrons dans une ère d’émeutes, qui sera transitoire et extrêmement violente. Elle définira la crise de reproduction du prolétariat, et donc du capitalisme, comme un élément structurel important de la période suivante. Par «émeutes», nous entendons les luttes avec ou sans revendications qui vont prendre des formes violentes et vont transformer les paysages urbains en zones de troubles ; les émeutes ne sont pas la révolution, l’insurrection non plus, bien que cela puisse être le début d’une révolution. La distance interne entre les pratiques du prolétariat aggravent toutes les contradictions sociales et potentialisent les conflits émergents qui intègrent de plus en plus de catégories de la classe ouvrière et provoquent l’intensification de la répression étatique. La particularité de cette «ère» est que la dynamique de la lutte ne peut pas produire de résultat stable. En tout cas, les luttes des prolétaires reproduiront inévitablement la classe adverse et leur propre existence de classe comme classe de prolétaires. La limite de ces luttes, maintenant, c’est le fait que ce sont des luttes de classe. La seule garantie de surmonter cette limite est une attaque pratique contre le capital, ce qui revient à l’attaque de l’existence même du prolétariat.
Même si la crise n’apparait pas rapidement aussi mondiale que celle de 2008, les crises régionales intenses comme celles qui surgissent dans les états de la rébellion, au Japon ou dans la zone euro criblée de dettes, vont définir d’une manière différente l’universalité de la crise comme une synthèse chaotique de situations locales. Que nous nous référions à la France ou à l’insurrection au Moyen-Orient et en Afrique, aux États-Unis ou à la Chine, nous voyons que les tendances inhérentes de cette phase du capitalisme restructuré se développent rapidement et avec un élan formidable. Toutes ces tendances convergent vers la dépréciation de la force de travail comme une composante commune et vers la conversion d’une partie toujours plus grande de la main-d’œuvre en une population structurellement excédentaire. Le succès possible de cette phase de restructuration, à savoir la restauration partielle du taux de profit, quelque forme qu’elle prenne, ne conduira pas à un nouveau cycle d’accumulation. Ceci ne se produira que si la structure des rapports de classe est modifiée. Les représentants des FQC, qui profitent des avantages d’un retard dans leur dévaluation (par la répression), ou ceux qui apparaissent comme leurs adversaires -dans certains cas ils sont vraiment – et qui défendent une autre forme keynésienne de capital, seront finalement dans le même camp, même si le conflit entre eux s’intensifie aujourd’hui, au cours de cette phase de transition.
Le capital est, dans tous les sens, une contradiction en mouvement: alors que dans la deuxième phase de restructuration, il fragmente complètement le prolétariat, dans le même temps, il crée une forte unité sur la base de son objectivité. Il amène chaque catégorie prolétarienne à passer de son point de vue propre à un constat commun: un manque aussi profond d’avenir ronge le présent de façon implacable. Cette prise de conscience crée l’idéologie de notre temps, celle d’un sujet en lutte qui n’utilise pas les vieilles enseignes idéologique de l’unité de classe ; il n’a aucune existence en dehors du capital et n’a pas non plus d’avenir à l’intérieur. Le développement de cette contradiction sous la forme des divergences internes entre les pratiques dans la lutte de classe, qui deviendront inévitablement conflictuelles, montrera si et comment ce manque d’avenir sera produit, non comme un mouvement objectif du capital, mais comme une activité du prolétariat contre le capital, c’est à dire contre lui-même en tant que prolétariat, c’est à dire comme un processus continu d’auto-transformation à travers les mesures communistes qui seront prises à mesure que la révolution abolira finalement le prolétariat.
ANNEXE
Sur la «deuxième phase de la restructuration
La notion d’une «deuxième phase de restructuration” est basée sur trois idées fondamentales. Premièrement, la contre-offensive du capital après la fin du cycle de luttes fordiste a été la restructuration qui a fait passer le capitalisme du keynésianisme/fordisme au néolibéralisme mondialisé et financiarisé. Deuxièmement, cette restructuration a marqué le début d’une nouvelle phase de la subsomption réelle du travail sous le capital. La dissolution de l’identité ouvrière et la sape permanente de la reproduction de la classe ouvrière, en tant que classe dont la reproduction est immédiatement liée au salaire direct et, sont des caractéristiques déterminantes de cette phase. Troisièmement, une caractéristique essentielle de cette restructuration, qui a créé une dynamique qui sape en permanence toute la cohérence interne de la classe ouvrière, consiste à être un processus qui renouvelle continuellement sa propre dynamique. La restructuration a été réalisée; un nouveau modèle d’accumulation a été établi; néanmoins, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la restructuration est maintenue comme dynamique et s’intensifie par les crises internes de cette période.
Sur la base de ce qui précède, il est évident que nous avons une difficulté à établir une périodisation interne du capitalisme restructuré, bien que la crise actuelle nous oblige à essayer de le faire. Cette difficulté est liée à une nouveauté historique du capitalisme restructuré. Cette nouveauté est la « tendance à une double déconnexion » (déconnexion entre l’accumulation du capital et la reproduction de la classe ouvrière d’une part et déconnexion entre salaire et consommation d’autre part, selon la terminologie utilisée par Théorie Communiste). En un mot, c’est le fait que, pour la première fois dans l’histoire, nous assistons au paradoxe suivant: alors que toute restructuration, comme contre-révolution, contient nécessairement une attaque de la valeur de la force de travail, la restructuration réalisée du milieu des années 70 au milieu des années 80 a intégré cette attaque comme une caractéristique permanente, nécessaire et structurelle du capitalisme restructuré. Dans la crise actuelle, nous sommes confrontés au fait que cette attaque était déjà structurellement intégrée dans la situation prévalant avant la crise.
Outre la crise actuelle elle-même, la tentative de la contrer met automatiquement en question la reproduction du rapport capitaliste et, plus précisément, du prolétariat. Pourquoi spécialement du prolétariat? Parce que le capitalisme est vraiment mondialisé et que tous les prolétariats nationaux ou régionaux sont traités d’une manière abstraite comme partie du prolétariat mondial, parfaitement interchangeable avec n’importe quelle autre partie. Cela conduit à un cercle vicieux. D’une part, on assiste à un approfondissement de la hiérarchie en raison d’une dépréciation aggravée du prolétariat des pays les plus bas dans la hiérarchie capitaliste. D’autre part, nous assistons à une dépréciation du prolétariat principalement dans les pays de la seconde zone, mais aussi ceux de la première, dans le cadre d’une concurrence mondiale qui se transforme dans une large mesure, dans le néolibéralisme, en concurrence pour le prix le plus bas de la force de travail.
La tentative de réponse du capital, de l’éclatement de la crise à aujourd’hui, ressemble à une aveugle fuite en avant. Il s’agit d’une restructuration interne pour le cycle d’accumulation, ou, plus justement formulé, il est la deuxième phase de la restructuration elle-même, qui par sa nature doit toujours être renouvelée sur la base de ses orientations fondamentales. Logiquement, cette deuxième phase de restructuration va également acquérir certaines caractéristiques géopolitiques. Plus nous approchons de la production de la révolution de ce cycle de luttes, plus des «restructurations internes » de ce type seront nécessaires: la distance temporelle entre elles sera raccourcie à mesure que le temps historique se condense et que s’accélère le processus producteur d’histoire.
Les mesures appliquées aujourd’hui, bien que pointant dans la même direction, n’ont pas la même importance historique que celles qui furent mises en œuvre dans la période dans laquelle le modèle précédent d’accumulation et de reproduction de la classe ouvrière a été balayé. La « première phase de la restructuration» (qui peut être appelé comme ça aujourd’hui seulement, dans la crise et avec les nouvelles mesures) a représenté un changement du modèle d’accumulation, la deuxième phase de la restructuration est une tentative de la poursuivre pour s’attaquer à une crise interne au cycle d’accumulation, crise assez grave pour produire la situation actuelle. La poursuite de l’attaque de la valeur de la force de travail et la sape de la reproduction de la classe ouvrière sont déjà contenus dans le modus operandi du capitalisme. D’où le concept d’une «deuxième phase», qui n’est pas une nouvelle restructuration, mais exprime le fait que la « première phase » de la restructuration a représenté le début d’une période historique dont la production sera la révolution comme communisation. Cette problématique ouvre la voie à une question qui est encore plus difficile et plus importante, celle du concept de conjoncture que nous avons l’intention d’aborder dans un proche avenir.